Romain CARAYOL est avocat, médiateur, formateur, Secrétaire Général de la Fédération Française des Centres de Médiation, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre de Paris

A l’occasion du colloque organisé par le barreau de Paris pour l’anniversaire des 25 ans de la création de l’OHADA, le mercredi 12 décembre 2018, j’ai eu l’honneur d’intervenir pour donner mon point de vue déontologique sur l’acte uniforme sur la médiation adopté le 23 novembre 2017 (en application depuis le 15 mars 2018).

L’OHADA a été construite pour assurer une sécurité juridique et judiciaire entre plusieurs Etats africains dans l’objectif de participer au développement économique du périmètre géographique ainsi constitué. L’acte uniforme sur la médiation s’inscrit bien dans cet objectif d’harmonisation déontologique au service d’une pratique commune de la médiation pour tous les acteurs du monde juridique et économique.

Sans flagornerie pour les auteurs inconnus de moi, ce texte est intelligent et pragmatique. J’ajoute qu’il est aussi rassurant car il reprend les standards internationaux connus de la médiation civile et commerciale, en y apportant des précisions utiles dans la gestion concrète du processus par le médiateur et les parties.

Une déontologie forte est nécessaire pour donner confiance aux acteurs du monde juridique et économique. L’acte uniforme pose ainsi les principes fondamentaux de cette déontologie pour le médiateur, d’une part, et le processus de la médiation, d’autre part.

Les principes déontologiques applicables au médiateur

S’agissant de son statut, le médiateur doit être indépendant, impartial et disponible. Le texte ne définit pas ces notions importantes qui caractérisent le profil nécessaire du médiateur pour mener à bien une médiation dans une confiance mutuelle et sereine.

L’indépendance est communément définie comme une position détachée de toute pression intérieure ou extérieure aux parties et plus généralement au processus de la médiation.

L’impartialité est communément définie par l’interdiction pour le médiateur à prendre parti ou privilégier l’une ou l’autre des personnes (physique ou morale) à la médiation. Certains ajoutent que le médiateur ne doit pas avoir de liens d’ordre privé, professionnel, économique ou encore de conseil avec l’une des parties. L’acte uniforme pose ainsi le sujet délicat des conflits d’intérêts en utilisant l’outil de la déclaration écrite du médiateur pour y répondre, à l’image de ce qui existe en matière d’arbitrage. Les cas d’incompatibilités sont prévus interdisant à un médiateur de devenir arbitre ou expert dans un dossier lié directement ou indirectement à une mission de médiation. Dans la même logique, le médiateur ne peut pas assumer les fonctions de conseil dans des différends en lien avec une mission de médiation qu’il a eu à connaître.

La notion de disponibilité est la dernière condition requise par le texte pour le statut du médiateur. Pas davantage définie, l’idée n’en demeure pas moi que le médiateur doit veiller à pouvoir assurer sa mission dans un délai raisonnable, et donc avoir un emploi du temps compatible avec les attentes légitimes des parties à voir une rapide résolution de leur litige (en tout état de cause plus rapide qu’un traitement judiciaire).

Deux notions absentes : neutralité et formation

Il reste que l’acte uniforme ne reprend pas deux autres notions qui existent souvent dans d’autres textes : la neutralité et la formation.

La neutralité est communément définie par l’absence d’intérêt personnel pour le médiateur à une quelconque issue particulière au litige. Pour illustrer la notion, il est ainsi acquis comme un dogme que le médiateur ne peut pas être financièrement intéressé au règlement du conflit. D’un point de vue pragmatique, l’absence de cette notion dans l’acte uniforme est peut-être salutaire pour ne pas figer l’outil dans des concepts doctrinaires.

S’agissant de la formation, le sujet a son importance puisqu’il touche à la compétence et l’expertise de la personne pressentie pour devenir médiateur dans une affaire. A l’instar de la tendance actuelle en France, la formation sera le sujet sensible dans la séquence qui commence à s’ouvrir dans les pays de l’Ohada. L’attente des acteurs juridiques, sociaux et économiques ira vers une identification des médiateurs par référence à des normes partagées de compétences. De toute évidence, l’acte uniforme n’avait pas vocation à traiter du sujet, en laissant chaque pays membre l’organiser. Il n’en demeure pas moins que le besoin d’une harmonisation de la formation des médiateurs dans l’espace OHADA est un sujet essentiel.

Des précisions utiles sur la déontologie des acteurs de la médiation

Par ailleurs, l’acte uniforme prend soin de détailler la déontologie du processus en énumérant les principes directeurs de la médiation : respect de la volonté des parties, l’intégrité morale, l’indépendance et l’impartialité du médiateur, la confidentialité et l’efficacité du processus de la médiation, le respect de l’ordre public.

Il s’agit d’une déontologie partagée par les acteurs du processus. Il est essentiel de rappeler que la médiation est la chose des parties, sous l’autorité bienveillante d’un médiateur qui se voit confier l’efficacité du processus.

L’acte uniforme est particulièrement précis sur le sujet de la confidentialité et de l’usage des éléments de preuve entre les parties pendant et après le processus de la médiation. Le pragmatisme du texte s’illustre encore sur cet item essentiel en pratique pour le médiateur, les parties et les avocats des parties.

La confidentialité est le levier essentiel dans la construction d’une confiance vigilante dans le processus. Sans confidentialité, pas de médiation possible. Le texte réaffirme ce principe fondateur du processus, avec les exceptions connues de la volonté contraire des parties ou encore des modalités pratiques d’exécution d’un accord.

Des règles précieuses sur les éléments de preuve

Le texte est particulièrement intéressant par sa précision sur la recevabilité des éléments de preuve dans le cadre d’une autre procédure. Il est rare de voir pareille précision dans un texte relatif à la médiation. Les précisions de l’acte uniforme à cet égard sont précieuses, et viennent répondre à des situations auxquels nombres de praticiens sont confrontés concrètement.

Ainsi, le texte interdit simplement aux parties, au médiateur, y ajoutant « toute tierce personne » d’invoquer ou de présenter l’un ou l’autre des éléments de preuve suivant :

• une invitation à la médiation adressée par une partie ou le fait qu’une partie était disposée à participer à une procédure de médiation, sauf lorsqu’une partie doit prouver l’existence d’un accord ou de l’envoi d’une invitation pour engager le processus de médiation en relation avec l’article 4 du présent Acte uniforme

• les vues exprimées ou les suggestions faites par une partie au cours de la médiation concernant une solution éventuelle de règlement du différend

• les déclarations faites ou les faits admis par une partie au cours de la procédure de médiation; • les propositions faites par le médiateur ou par l’une des parties

• le fait qu’une partie a indiqué être disposée à accepter une proposition de règlement présentée par le médiateur ou par l’autre partie

• un document établi aux seules fins de la procédure de médiation.

L’acte uniforme précise que l’obligation de confidentialité ne s’étend pas aux éléments de preuve préexistants à la procédure de médiation ou constitués en dehors de toute relation avec celle-ci. Cette mention est essentielle car chaque partie reste maîtresse de ses pièces qui peuvent donc être intégrées, ou pas, dans le processus de la médiation. Si une pièce est communiquée dans la médiation, elle est protégée par la confidentialité du processus, mais la partie à laquelle elle appartient pourra l’utiliser ultérieurement dans une autre procédure.

Avec son acte uniforme sur la médiation, l’OHADA démontre qu’elle est en phase avec les attentes du monde économique. L’acte uniforme sur la médiation est un texte équilibré, intelligent et pragmatique. A certains égards, il apparaît comme une invitation aux Etats membres de le compléter par une déclinaison locale de ces principes auprès du monde des affaires, et des centres d’arbitrage et de médiation.

Le point sur l’évolution des textes en France et en Europe

En France, le texte fondateur sur la médiation civile et commerciale a été adopté en 1995 (loi n° 95-125 du 8 février 1995 et le décret n° 96-652 du 22 juillet 1996).

Une directive européenne a été adoptée en 2008 pour fixer des règles communes dans l’Union Européenne (directive 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale).

En 2009, les associations représentatives du monde de la médiation en France ont réussi à rédiger ensemble un code national de déontologie du médiateur (communément appelé code ROM 2009).

Depuis deux ans, les Cours d’appel de France doivent établir des listes de médiateurs sur des critères de compétences et d’expériences.

Un travail de structuration de l’offre de services et de représentativité du monde de la médiation est en cours.